Texte écrit par Hubert Reeves: astrofísico y ecologista,
nacido en Montréal, Québec (1932).
Au plus lointain, j’ai vu l’explosion fulgurante d’un chaos torride et, dans un océan éblouissant de lumière, un magma de matière informe se répandre.
Puis, sous mes yeux étonnés, de
gigantesques masses nébulaires se sont disloquées. Les fragments, s’enroulant
sur eux-mêmes, se sont lentement dessinés en spirales bleutées, et tout au
long de leurs bras, de fantastiques explosions d’étoiles ont projeté dans
l’espace, avec une force inouïe, des moissons d’atomes multicolores.
J’ai observé dans les abysses
océaniques des torrents de matière opaque s’éjecter des cheminées
volcaniques, et d’immenses colonies d’organismes s’agiter en cadence auprès
de cette manne sulfureuse.
J’ai assisté aux combats brutaux de
cerfs pour la femelle qui portera leur semence et veillera sur l’avenir de la
lignée.
Par ces spectacles, j’ai mesuré la
puissance du ferment d’organisation dont la nature est possédée. Et j’ai goûté
en moi une saveur exaltante faite d’enthousiasme et de reconnaissance.
Mais quand j’ai été horrifié devant
les amas de cadavres dans les camps d’exterminations, j’ai été envahi d’un
sentiment de grande perplexité.
Où l’aventure cosmique s’était-elle fourvoyée ?
Ou bien n’avais-je pas été simplement le jouet d’une illusion, d’un rêve en
couleurs?
Du choc de ces visions
contradictoires est née en moi une nouvelle idée de notre existence. Il y a
quelque chose à faire de ces quelques décennies que la nature nous
accorde : prendre résolument, et sans faillir, le parti d’embellir la
réalité.
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